Que celui qui n’a jamais acheté un râteau électrique ou une bière artisanale corse sur QoQa me jette la première pierre. Aujourd’hui ce sont en effet plus de 600’000 suisses et suissesses qui achètent de façon régulière sur la plateforme communautaire de vente en ligne pour un total annuel de plus de 70 millions en 2018. La recette est la même depuis 14 ans : un produit par jour, proposé à un prix avantageux. Mais quel est l’ingrédient miracle ? Plus que la qualité des articles ou l’attractivité des prix, c’est à la gestion de communauté exemplaire de QoQa qu’il faut s’intéresser.
À l’ère de la digitalisation, fidéliser ses clients et se rapprocher d’eux sur le web devient crucial. Les multinationales débloquent les budgets nécessaires pour faire face à ce défi. Mais qu’en est-il des PME qui composent le paysage économique romand ? Bien que plus petites, certaines parviennent à tirer leur épingle du jeu. Je me suis donc aventuré dans l’antre des “loutres” pour vous en ramener leurs secrets.
Robin von Känel : Aujourd’hui tout le monde connaît QoQa. Il y a 14 ans le concept était très novateur. Pourquoi avoir lancé QoQa ?
Pascal Meyer : J’ai toujours voulu entreprendre et aimé partager des bonnes combines avec mes potes. Au départ on était 25 potes et maintenant on est plus de 600’000 potes. L’idée c’était vraiment de partager les bons trucs avec les gens, de créer la discussion. J’ai adoré créer quelque chose qui n’existait pas avant, qui bousculait ce qui existait déjà.
Tu n’es pas un patron conventionnel. Quelle est ta vision de la fonction d’un dirigeant en 2019 ?
Pour moi, un dirigeant en 2019 ne doit justement pas être “LE dirigeant”. Il doit être l’image extérieure de l’entreprise, la représenter. Mon rôle, je le définis comme quelqu’un qui doit amener la vision, la créativité et être l’ambassadeur de ce qui se passe chez QoQa et surtout animé ce qui se passe à l’interne.
Ton image est effectivement beaucoup mise à contribution, notamment dans les diverses actions de guerilla marketing de QoQa. D’où est venue cette idée ?
Quand tu n’as pas un rond et que tu dois démarrer un projet, tu fais avec ce que tu as. L’idée c’était de se demander comment on pouvait se faire connaître en étant créatifs. On a pris le parti de se mettre à nu, de rester nous-mêmes. C’était important pour moi de montrer qu’il y avait quelqu’un derrière la boîte, que c’était un groupe d’humains qui mouillaient la chemise. Ce n’était pas forcément mon image à moi seul. Bien sûr, ce n’est pas aussi facile pour tous les métiers, mais c’est possible. C’est la relation avec l’humain qui fait la différence. Si la personne que tu as en face de toi arrive à se mettre à ton niveau, cela peut être un banquier, un avocat ou peu importe, la relation sera géniale.
Depuis, l’ensemble des employés de QoQa semblent être devenus de vrais ambassadeurs de l’entreprise. Comment est-ce arrivé ?
C’est venu naturellement. Si tu réfléchis, tu te rends vite compte que tu peux tirer beaucoup plus de gens qui sont alliés à ta cause que s’ils ne sont que de simples exécutants. Les gens qui travaillent ici se sentent impliqués dans ce qu’ils font. Cela passe par le respect, mais aussi par le droit de parole, de pouvoir dire quand ils pensent que quelque chose ne va pas, ou encore de développer leurs propres projets. Je suis un grand défenseur de cette philosophie. Tout le monde a son mot à dire. Certains voudront moins prendre l’initiative, c’est ok. Certains adorent cela, c’est ok aussi. Cela demande une grande écoute de la part de chacun.
Comment les motives-tu à faire rayonner les valeurs de l’entreprise ?
Chez nous, la valeur numéro une c’est le respect. On se respecte entre collègues. Le premier pas est simplement de leur faire confiance en abolissant la hiérarchie. Ensuite on a mis une méthodologie agile en place qui s’appelle SCRUM. On l’a appliquée à tous les niveaux. Ce n’est pas parfait, mais au moins les gens peuvent s’exprimer et améliorer les choses. On leur laisse une liberté totale. Je préfère qu’ils répondent faux à la question d’un client plutôt qu’il n’y ait pas de réponse du tout. Dans tous les cas, on les félicite et on leur explique comment faire mieux la fois suivante.
Cela passe aussi par des barbecues, des dégustations, des événements internes. Ils passent un temps de malade ici. Il faut que ce soit cool ! Cela permet de transpirer l’authenticité, la vie, qui on est, et pourquoi on est ici. C’est également le rôle de la boîte, faire plaisir à ses employés. Ils travaillent bien et il faut les récompenser. Il ne faut pas lésiner. Que représentent 10.- ou 20.- par personne par mois si on parvient à les rendre heureux ? Tu te rends compte le capital sympathie pour la boîte ? C’est limpide !
Quels sont les bénéfices d’une telle démarche ?
C’est difficilement mesurable car je n’ai pas mis cela en place pour en tirer des bénéfices. Pour moi il s’agit plus d’une question philosophique. Cela fait plaisir aux gens et cela me suffit. Quand je prends le pouls à l’interne, ils sont heureux. Et quand j’écoute les échos à l’externe, je me rends compte que cette démarche est atypique. Mon objectif, mon rôle au sein de la boîte, c’est de faire en sorte que tout le monde soit content.
Comme les gens se sentent bien, on a peu de départs, on n’a jamais eu de cas de burnout. On cherche à travailler avec les meilleurs, des gens qui ont une mentalité d’entrepreneur, qui ont envie de grandir plutôt que d’exécuter. Ce n’est pas toujours évident à trouver. Quand on met une annonce, on reçoit énormément de dossiers, alors cela aide.
QoQa est premier de classe en matière de gestion de communauté en Suisse romande. Quel est votre secret ?
La première chose à comprendre, c’est simplement que si tu respectes les gens avec qui tu échanges, les gens qui adhèrent à ta philosophie vont être proches. Gérer une communauté c’est être à l’écoute de ses réponses. Quand je vois des entreprises qui effacent des commentaires, qui censurent pour n’avoir que du positif, je trouve que c’est un manque de respect. C’est ce qui explique le manque d’engagement et de loyauté des gens qu’ils ont en face. Ensuite, il faut que tu animes régulièrement cette communauté en partageant avec elle des informations, des événements, des bons plans, etc. Cet échange avec la communauté, ce respect, l’écoute et la réponse que tu vas donner, tout cela c’est très important.
En plus de cette considération pour la communauté, il faut bien comprendre que c’est un effort commun. C’est la combinaison des efforts de l’ensemble des employés de QoQa qui fait qu’on arrive à répondre aux gens, être actifs, garder le bon ton, échanger sur une réponse. Pour que la réponse soit bonne, cela demande de s’impliquer. Ce n’est pas un boulot où l’on finit à 17h30, “Tchô bonne!” et on rentre à la maison. Tout le monde s’implique dans cette tâche de réponse et y met ses tripes.
À retenir
Comme beaucoup d’autres entrepreneurs, Pascal Meyer a su mettre sa marque personnelle au service de son entreprise. Il a cependant amené le concept d’ambassadeur à l’étape supérieure en impliquant l’ensemble de ses employés dans le processus, ce qui lui a permis d’humaniser Qoqa. La communication qui en découle a lieu entre de vraies personnes et non entre une entreprise et ses clients. Le dialogue est donc plus naturel et authentique, permettant ainsi la fédération d’une communauté très active.
Chez Qoqa, cette démarche s’est faite naturellement, car Pascal Meyer a instauré une culture interne haute en couleur. Comme il le relève bien, tout type d’entreprise ne peut cependant pas se permettre de telles excentricités. Alors, comment reproduire cette démarche sans la folie qoqasienne ?
Le secret, c’est l’authenticité. Une stratégie d’ambassadeurs requiert une forte motivation intrinsèque des collaborateurs à promouvoir leur employeur. Cela ne nécessite que trois conditions :
- Les collaborateurs doivent être heureux et à l’aise au sein de l’entreprise.
- La communication de l’entreprise doit être cohérente avec ses valeurs (celles qui sont vécues à l’interne et non celles qui trônent sur le site web, inchangées depuis vingt ans).
- Les ambassadeurs doivent également être accompagnés dans cette démarche, notamment en les sensibilisant, en leur expliquant le fonctionnement des outils de communication, etc.
Finalement, l’engagement de la communauté de Qoqa s’explique également par leurs actions de guerilla marketing. En effet, même cette entreprise entièrement digitale l’a compris : l’être humain aura toujours besoin d’interactions réelles, en face-à-face. Ces actions de communication hors ligne sont un outil de plus qui leur permet d’humaniser Qoqa en se rapprochant de leurs clients, en les rencontrant.